You are here:

Administration fiscale : Une réorganisation à la hauteur des enjeux !

Le Ministre du Budget, Ismaël DIOUBATE, a pris, le 19 Février 2019, un arrêté portant attributions et organisation de la Direction Nationale des Impôts. Ce texte organique opère une restructuration en profondeur de l’administration fiscale de notre pays, fondée sur les principes de la déconcentration, de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable et de délégation.

Déconcentration

En attendant la mise en œuvre de l’arrêté du 19 février 2019, notre administration fiscale se caractérise par une centralisation excessive. Toute l’administration des impôts de la République de Guinée se trouve localisée presque dans un seul endroit à Conakry. La Direction Nationale des Impôts proprement dite, c’est-à-dire le service central des impôts de l’administration fiscale guinéenne est à la fois un centre de pilotage et un centre opérationnel. Une telle organisation aboutit inéluctablement à l’atrophie des fonctions d’état-major et des services fonctionnels : fatalement, les dirigeants sont conduits à accorder plus d’attention aux fonctions de production qu’à celles d’éléments. Le nouveau texte organique apporte des corrections appropriées à cette anomalie qui a longtemps duré.

Désormais, l’administration fiscale guinéenne comprend très distinctement un centre de pilotage et des centres opérationnels.

Le centre de pilotage est constitué par la Direction Nationale des Impôts proprement dite. C’est un service central, conformément aux catégories prévues par la loi sur l’organisation générale de l’administration. Il est dirigé par un Directeur National assisté d’un Directeur National Adjoint. La Direction Nationale des Impôts proprement dite comprend des services de contrôle et de pilotage stratégique (inspection générale des services fiscaux et division de la stratégie, des reformes et de la performance) ; des services de pilotage de la fiscalité intérieure (divisions de la législation et de la réglementation fiscales, du pilotage de la gestion fiscale, du contrôle fiscal et des enquêtes et du recouvrement) ; et des services fonctionnels (divisions des ressources humaines, des finances, de l’informatique et de la modernisation et des relations publiques et de la communication).

Les centres opérationnels sont désormais constitués de services déconcentrés à compétence nationale (centre des impôts des grandes entreprises et centre des impôts des moyennes entreprises) ; à compétence régionale (inspections régionales des impôts ; centre de l’enregistrement, des missions foncières et de la fiscalité immobilière de Conakry) ; à compétence préfectorale (services des impôts des préfectures) ; et à compétence communale (services des impôts des communes de Conakry).

L’arrêté du 19 février 2019 pousse la déconcentration de notre administration fiscale jusqu’aux fonctions support. Que ce soit le centre de pilotage qu’est la DNI proprement dite ou les centres opérationnels à tous les niveaux de la structure administrative du pays, chacun dispose d’un ou de plusieurs services support. Cette déconcentration des fonctions d’éléments est gage d’efficacité. Désormais, chaque centre opérationnel dispose a priori des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa fonction principale qu’est la collecte de l’impôt.

Séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable

L’autre apport important de l’arrêté du 19 février 2019 est la (réitération) du principe de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable. Ancienne colonie française, la Guinée a tout naturellement hérité de la France son système de finances publiques. Comme tous les pays d’Afrique francophone, jusqu’à la fin des années 1980, l’organisation de l’administration fiscale était restée fidèle au modèle hérité de la période coloniale : au service des impôts d’établir les impositions et au Trésor public de procéder aux prises en charge et au recouvrement. Malheureusement, si le modèle fonctionnait bien dans son pays d’origine, en Afrique il avait du mal à fonctionner avec efficacité. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980, sous la « pression » des Institutions de Bretton Woods, les administrations fiscales africaines commencèrent à « internaliser » la fonction comptable pour des questions de performance. Le revers de la médaille est que cela a aussi créé une certaine confusion entre les fonctions d’ordonnateur et celles de comptables. A la Direction Nationale des Impôts, hormis le Receveur Spécial des Impôts, les autres receveurs des impôts se trouvent dans des situations qui ne garantissent pas leur autonomie vis-à-vis des services opérationnels.

Désormais, tous les comptables publics de l’administration fiscale guinéenne sont nommés par arrêté conjoint du Ministre en charge de la fiscalité intérieure et de celui en charge de la comptabilité publique. En tant que chefs de postes comptables, les receveurs des impôts se trouvent ainsi dans une situation comparable à celle des agents comptables des établissements publics administratifs et des organismes de sécurité sociale. Même si leur gestion administrative reste confiée au chef du centre de pilotage (le directeur national des impôts) et aux chefs des centres opérationnels (les responsables des services déconcentrés autres que les inspections régionales), leur indépendance nominale est au moins garantie.

Délégation

Le troisième et dernier apport de l’arrêté du 19 février 2019 est celui d’avoir mis en place une sorte de délégation de pouvoirs en faveur des chefs des services de pilotage. Ceux qui, pour une raison ou une autre, connaissent le fonctionnement de la Direction Nationale des Impôts savent que la signature du Directeur National est quasi-indispensable. Malheureusement, c’est à la fois un problème lié à la structure de l’administration fiscale telle qu’elle existe présentement mais aussi un problème culturel. Le chef africain n’aime généralement pas partager le pouvoir.

Ismaël DIOUBATE semble voir les choses autrement. Selon l’article 4 alinéa 2 de l’arrêté du 19 février 2019, les chefs des services centraux représentent le Directeur National des Impôts dans l’exercice de leurs missions d’appui et de pilotage. En d’autres termes, on a plus besoin de la signature du Directeur National pour tout et n’importe quoi. Les différents responsables du centre de pilotage sont « responsabilisés ». C’est à eux de prendre leurs responsabilités et d’assumer leurs fonctions. Bien entendu, sous le contrôle du Directeur National qui, en tant que premier responsable de l’administration fiscale, peut toujours substituer sa propre décision à celle de ses subordonnés.

Comme on le voit, le risque de conflits entre un Directeur national jaloux de ses prérogatives et un chef de service de pilotage jupitérien n’est pas à exclure. Mais il existe un remède à cela : mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Confier des responsabilités de management stratégique et tactique à des personnes qui n’en ont, ni l’aptitude, ni les compétences, ne pourraient conduire qu’au conflit et donc au chaos avec la nouvelle structure. D’où la nécessité de ne confier le management de la nouvelle administration fiscale qu’à des personnes choisies sur la base de critères purement objectifs.

En attendant cela, félicitations au Ministre Ismaël DIOUBATE pour avoir manifesté la volonté de déconcentrer notre administration fiscale, de séparer en son sein les fonctions comptables et non comptables et de rationaliser le processus de prise de décision.

Sékou O. CAMARA

Conseil juridique